Qu’est-ce que le doute ?

Selon le dictionnaire Le Trésor de la Langue Française informatisé (2013), le doute est défini comme un état d’incertitude de l’esprit et mettre en doute comme une contestation de la vérité ou la réalité d’une proposition ou d’une chose. Le doute possède évidemment bien d’autres sens selon la spécialité.

Cette réflexion est basée sur le doute qui permet de critiquer nos croyances et remettre en question nos “vérités“. Sur ce sujet, B. Legrand, psychothérapeute de couple contemporain, fait une différence entre un doute constructeur et un doute destructeur : « douter peut également procéder d’un désir et d’une volonté de questionner, au sens de remettre en question. Je lui associe une idée de mouvement, contrairement à la paralysie et à l’impuissance qui accompagnent le doute destructeur » (Legrand, 2007, p.24).

Pour citer Socrate : « Tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien ». Le doute socratique est le doute constructeur auquel Legrand fait référence, le doute qui permet de réfléchir et d’aller plus loin dans son raisonnement.

La maïeutique socratique, archétype de la psychothérapie ?

Socrate (469-399 av. J.-C.), le « père de la philosophie », serait le premier à consacrer la réflexion philosophique aux affaires humaines (Dorion, 2004). « L’essentiel de son enseignement porte sur la connaissance de l’homme et à partir d’une expérience personnelle, il prend pour devise celle du temple de Delphes « Gnôthi séauton » ou  « Connais-toi toi-même », sorte d’exhortation à nous observer nous-mêmes en solitaires afin de nous libérer des préjugés et des illusions du faux savoir, nous forcer à prendre conscience de la prison qui est en nous, et nous rendre capables d’accéder à la vérité » (Patte, 2009, p.22).

Pour permettre à l’autre d’accéder à cette « vérité », il développe la Maïeutique, l’art de « faire accoucher les esprits ».. Cette technique consiste à habilement questionner une personne pour lui faire exprimer (accoucher) un savoir qu’elle ignore exister en elle. Pour réussir à faire exprimer les savoirs, Socrate se disait lui-même ignorant. Ainsi, il ne répondait pas aux questions et se plaçait dans la position de celui qui interroge (Dorion, 2004, pp. 43-45).

Ce positionnement permettait d’engager les interlocuteurs à faire par eux-mêmes la recherche de la connaissance. Il me semble que Socrate possède l’art de guider l’interlocuteur « ignorant » sur le chemin du « vrai » par des questions habiles, en l’obligeant à reconnaître son ignorance et à « faire sortir » par l’analyse des notions et la remise en question (ou la mise en doute), les vérités qu’il possède en lui.

La méthode socratique a été une source d’inspiration des approches psychothérapeutiques d’aujourd’hui. R. D. Chessick (1982) publie un article où il met en avant les similitudes entre la méthode socratique et la méthode psychothérapeutique. Selon lui, cette méthode maïeutique de Socrate est certainement la première pratique de la psychothérapie individuelle intensive ; Socrate rencontre et engage un individu dans une tentative de permettre à l’individu de se pencher sur lui-même. Ainsi, le questionnement permet de s’approcher des certitudes des patients et de les remettre en question.

Par exemple, on retrouve un lien entre la maïeutique de Socrate et Lacan (approche psychanalytique). J. van Rillaer (1980) écrit que « Lacan a proclamé : Socrate est le précurseur de l’analyse (1966 :825) ». Le questionnement d’inspiration socratique dans l’approche psychanalytique cherche les idées qui se trouvent déjà chez l’analysé et qui sont un ressouvenir d’un contenu latent dans l’inconscient dans le but de les amener au conscient.

Dans l’approche cognitiviste, la méthode socratique est utilisée pour faire prendre conscience au patient du caractère dysfonctionnel, illogique et déficitaire des principes cachés qui régissent sa conduite. Dit autrement, le questionnement socratique permet de semer le doute thérapeutique dans les croyances rigides d’un patient. Les questions pourraient être : Est-ce bien le cas ? Peut-on le voir autrement ? Est-ce si grave ? Le procédé de base de la méthode socratique réside dans l’utilisation d’une séquence de questions prévues pour guider l’écoulement du dialogue, ce qui permet une restructuration cognitive vers des pensées plus fonctionnelles (Overholser, 2010).

Dans l’approche systémique, la thérapie évolue en trois temps : l’évaluation, l’introduction du doute et le changement comportemental. Le questionnement circulaire et les recadrages serviront à introduire des doutes chez les patients tandis que les prescriptions de tâches pourront être utilisées afin de changer des comportements. L’approche systémique utilise aussi la méthode du questionnement socratique mais applique cette méthode aux relations interpersonnelles. Le questionnement systémique permet d’élargir la vision des problèmes en portant attention aux interactions et au contexte d’apparition des troubles autant qu’aux troubles eux-mêmes (Balas, 2008).

Comme vous pouvez le constater, certaines des approches psychothérapeutiques d’aujourd’hui sont inspirées de la méthode socratique et le doute peut être considéré un bon ingrédient dans la psychothérapie.

Personnellement, je pense que le doute a toute sa place dans la relation thérapeutique et qu’il devrait être promu par le thérapeute qui, à son tour, devrait accepter d’être remis en question par le patient. Ceci faciliterait une co-évolution et une « co-découverte » des nouveaux possibles. A mon avis, la remise en question apportée par le doute est indispensable pour s’améliorer dans une pratique psychothérapeutique indépendamment de l’approche utilisée.

Pour cela, il me semble que les vertus du doute pour le patient et le thérapeute devraient être plus activement mises en avant dans l’enseignement de futurs psychothérapeutes, psychiatres et psychologues.

Gerard Calzada